Il est ici question d'économie, mais pas des déçus du Hollandisme... non, d'une tendance lourde qui ne fera que s'amplifier de génération en génération (quels que soient les gouvernants qui se succéderont).
En prenant un peu de recul sur l'histoire de Homo sapiens, on pourra bientôt distinguer 5 grandes ères :
Avant Homo sapiens : constitution de la mine
Durée : plusieurs milliards d'année.
Depuis la formation de la planète Terre, par des processus extrèmement lents, accumulation progressive d'éléments divers dans les entrailles de la terre : énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz), métaux, terres rares, etc.
L'ère des chasseurs-cueilleurs
Durée : plusieurs centaines de milliers d'années.
Homo sapiens est nomade, il se déplace pour rechercher sa nourriture là où elle se trouve.
Du fait du nomadisme, peu d'accumulation possible de richesses matérielles, donc peu d'inégalités entre individus.
Croissance des populations très limitée. Malgré celà, les savoirs-faire accumulés (transmis oralement d'une génération à l'autre) peuvent être suffisants pour provoquer quelques effets secondaires indésirables : déforestation, érosion des sols, éradication de certaines espèces.
L'ère de la sédentarisation et de la domestication
Durée : plusieurs milliers d'années.
Homo sapiens apprend à domestiquer les plantes et les animaux pour sa consommation personnelle. Il n'est plus obligé de se déplacer pour se nourrir, il se sédentarise. La production d'excédents alimentaires permet la croissance de la population. La sédentarisation permet aussi l'accumulation de richesses importantes... mais pas pour tout le monde : les inégalités entre individus s'accroissent. L'écriture naît. L'organisation sociale prend une autre échelle, les empires apparaissent.
La production de richesses reste toutefois basée sur la force humaine et animale, avec des techniques artisanales dont la productivité est limitée. L'accroissement des richesses moyennes par individu reste très faible. La production sert essentiellement à couvrir les besoins élémentaires. Les besoins en main-d'oeuvre sont importants et aucune innovation technique ne provoque de chômage. D'un point de vue économique, le système est relativement stable.
L'ére de la croissance "minière"
Durée : environ 200 ans.
Au début de cette ère, Homo sapiens est assis sur deux mines, qu'il n'a pas commencé à exploiter. Une mine "physique" : son sous-sol, qui contient toutes les ressources naturelles accumulées avant son apparition sur Terre. Et une mine "intellectuelle" : celle des lois de la nature, qu'il ne connaît pas encore et qu'il lui reste à découvrir.
Il commence à exploiter ces deux mines en parallèle. Les découvertes scientifiques nourrissent des innovations techniques qui utilisent les richesses du sous-sol (ou rendent possible leur extraction).
Economiquement, le système devient instable. Les innovations techniques amènent la croissance de la production, la croissance de la production amène la croissance de la consommation des ressources naturelles. Chaque nouvelle innovation technique s'accompagne du phénomène de "destruction créatrice" décrit par Schumpeter : des emplois obsolètes sont détruits, mais sont (en moyenne) remplacés par d'autres emplois issus des innovations techniques.
Aujourd'hui :
- Les besoins élementaires étant maintenant globalement couverts, la croissance de la production concerne pour l'essentiel des biens non vitaux.
- L'énergie qu'un français moyen consomme en un an pour toute sa consommation (production des biens matériels qu'il achète, chauffage, transport,...) représente l'équivalent de ce que peuvent produire 400 personnes en un an avec la force de leurs bras ou de leur jambes. C'est comme si nous avions à notre disposition, pour assurer notre train de vie actuel, 400 "esclaves énergétiques". Cette énergie consommée est essentiellement de l'énergie fossile : pétrole, gaz, charbon.
- La production de biens matériels ne pouvant se faire sans énergie, une baisse de la production d'énergie entraine une baisse de la production de biens matériels.
- Tel un cycliste qui doit pédaler sans relâche pour ne pas tomber, la croissance économique ne doit pas cesser pour que le système économique n'implose pas (ou plutôt que le chômage n'explose pas).
- Bref, notre organisation économique est telle que le niveau d'emploi est directement corrélé à la croissance de l'énergie disponible !!!
L'ère post-minière
Durée : le reste... (encore quelques milliards d'années).
Comme le disait Kenneth Boulding : "Celui qui croît qu'une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste".
Les ressources minières physiques, qui sont nécessaires à la plupart de nos productions, sont un stock donné au départ et qui ne peut pas (à échelle humaine) se renouveler. Pour ne parler que du stock d'énergie fossile, une fois ce stock épuisé, il reste... les énergies renouvelables. Qui ont une capacité très inférieure à nos besoins énergétiques actuels, même en tenant compte d'hypothétiques innovations techniques qui en optimiseraient le rendement. De toutes façons, in fine, la capacité maximale des énergies renouvelables sur Terre, ce n'est que le flux de chaleur en provenance du soleil...
Les ressources minières "intellectuelles" (les lois de la nature) sont également données une fois pour toutes.
Où en est-on de l'épuisement de ces deux mines ?
Concernant les ressources minières physiques : leur épuisement est très variable selon le pays producteur et la ressource considérée, mais des signes sérieux indiquent que nous sommes déjà entrés, pour certaines ressources dont le pétrole, dans une phase de décroissance de la production (en moyenne mondiale, avec de fortes disparités régionales). Et que cette décroissance n'est pas contrainte par la demande, mais par les capacités physiques d'extraction des stocks restants.
Concernant les découvertes scientifiques susceptibles de nous amener d'autres innovations techniques : on se limitera à la Physique et aux "Sciences du vivant" :
- Pour ce qui est de la Physique, le modèle standard de la physique des particules date maintenant des années 1970, et il a été amplement validé par l'expérimentation. Son domaine de validité couvre la physique de la vie courante et les niveaux d'énergie raisonnablement exploitables pour des applications pratiques, y compris l'énergie nucléaire.
- Pour ce qui est des Sciences du vivant... comme je n'y connais rien, je ne m'avancerai pas trop là-dessus, mais j'en tirerai quand même bientôt quelques conclusions.
En étant abrupt, voici donc ce que je conclus de l'état actuel des découvertes scientifiques :
- Physique : il n'y a plus aucune loi fondamentale à découvrir, sur un domaine de validité susceptible d'amener des innovations techniques. Si des innovations techniques ont lieu dans le futur, ça ne sera que sur la base de lois déjà découvertes... donc plus lentement qu'avec la découverte de nouvelles lois.
- Sciences du vivant : quel que soit le potentiel de découverte restant, le potentiel de production des sciences du vivant, est celui des énergies renouvelables (soit l'énergie en provenance du soleil)... et ça c'est physique.
Les deux "carburants" du système économique actuel, à savoir l'innovation technique et l'énergie à gogo, sont donc bel et bien entrés (sur le long terme) dans une phase d'épuisement. Par conséquent, la production de biens matériels ne pourra que décroître. La croissance molle, ou l'absence de croissance, ou la récession observée en Europe en ce moment, c'est ça et rien d'autre. Et le chômage de masse actuel, c'est une conséquence de cette croissance atone, parce que le système économique est actuellement organisé pour ne permettre le plein emploi qu'en présence d'une croissance soutenue.
Comment allons-nous, collectivement, répondre à cette nouvelle donne ? Allons-nous nous adapter à temps, et gérer correctement cette décroissance matérielle, sans entraîner de crise aiguë ? Bien malin qui pourrait le dire... Je vais quand même risquer un pronostic. Je suis pessimiste, je pense que rien ne sera géré correctement. Voici mon analyse.
Nous sommes drogués aux biens de consommation. Combien d'entre nous renonceraient de bon coeur à la voiture, à la clim, aux smartphones,... même si on leur disait que c'était pour la bonne cause ?
D'autre part, la notion de "progrès" est tellement entrée dans les moeurs (à force de générations s'étant succédées dans l'ère de la croissance minière) qu'il apparaîtrait inconcevable à beaucoup que ça s'arrête. On trouvera toujours une solution à n'importe que problème pour continuer comme avant !
Bref, la baisse de la consommation, ce n'est pas vendeur et c'est contre-nature. Donc aucun politicien, même bien intentionné, ne voudra risquer un kopek sur ce genre de slogan (je parle des politiciens qui veulent se faire élire, pas des écolos).
Et les élites du business (ceux qui ont l'argent, le pouvoir même s'ils ne sont pas élus, les réseaux d'influence,...) ? Elles pourraient éventuellement influer, à leur façon, le cours des choses. Le feront-ils, ceux qui auront conscience de la situation ? Au mieux : non ; au pire : ils ralentiront au maximum toute évolution. Parce que les personnes de cette catégorie excellent dans l'optimisation de leurs intérêts personnels, pas dans l'optimisation de l'intérêt général. Et qu'une remise en cause du système économique actuel signifierait une remise en cause de leurs avantages. Elles continueront donc de faire semblant que tout va comme avant, de tirer profit au maximum de tout ce qu'il y a à tirer à court terme... comme les spéculateurs qui ont conscience qu'une bulle va exploser, mais qui continuent à jouer pour ne pas risquer de gagner moins que le voisin. Attention, je ne porte aucun jugement moral là-dessus.
En tout cas, en final, la réalité rattrapera tout le monde, sans exception... Qui s'en sortira le mieux ? Mon pronostic : les peuplades qui sont (au regard des standards occidentaux) les plus pauvres, celles qui dépendent le moins actuellement de l'innovation technique et de l'énergie. Sous réserve que leur environnement ne soit pas détruit pas des bouleversement climatiques...